J’aurais pu écrire un album de blues tant la douleur et la tristesse ont jonché mon parcours.
Un procès que l’on perd et qui nous plombe, des amis qui nous quittent, d’autre qui décèdent, les déceptions sentimentales, le sempiternel refrain de la séparation et cette terrible sensation d’abandon qui ramène à l’enfance. Tout ça aurait pu faire un bon album de blues mais il aurait manqué d’âme. Il n’aurait pas sonné juste. Il n’aurait pas raconté la passion, l’envie, les rencontres, l’espoir et le bonheur de voir se concrétiser un projet qui vient de loin.
Oublier les codes du rap pour mieux en user, retrouver son essence, se remémorer ce qui nous construit, se rassembler, créer l’unité, témoigner d’une époque, d’une histoire… de son histoire… Chanter sa vie… Chanter la vie. Chaque note de ce disque me ramène à ces samedis matin où, dansant devant moi, Félicité, ma mère, me faisait découvrir ces artistes que je ne comprenais pas. Ils m’ont accompagné, bercé et imprégné au point de modifier mes sens et ma perception du monde. Enfant du melting pot culturel français ? Oui ! Mais surtout enfant de la Stax de David Porter, d’Isaac Hayes, de Curtom et de Leroy Hutson, enfant de Blo et du Poly- Rythmo… enfant de la France, enfant des States, enfant du Bénin.
De mes oncles, Anatole et Roger, je n’ai que leurs photos en pattes d’eph et les histoires qu’ils m’ont contées. Témoin par procuration d’une époque où ils écumaient les salles de bal de Cotonou pour y jouer les standards de James Brown et Jonas Pedro. J’aurais aimé avoir des frères et sœurs pour partager ces souvenirs ; à défaut, j’ai hérité du Cosby Show en guise de famille adoptive parce qu’une mère seule ne suffit pas.
De mon père, je ne garde que le vague souvenir d’une conversation téléphonique brouillée par de longues années de silence. La famille est une notion à géométrie variable. J’y ai donc mis mes amis, ceux avec qui j’ai grandi, avec qui j’ai ri, avec qui j’ai pleuré. Ceux qui m’ont apporté ce brin de chaleur dont on a besoin pour pousser. Car c’est une erreur de croire qu’on peut croître sans amour, sans chaleur. Sans lumière on ne peut que survivre, au mieux proliférer.
Oui, j’aurais pu faire un album de blues mais j’ai grandi dans la dureté d’un monde rap. Un monde où il faut jouer des coudes pour exister. Un monde âpre et aride pour le cœur, où les bons sentiments n’ont pas droit de citer car il en va de sa crédibilité, de son statut. Mais qu’en est il de son âme ? J’ai grandi dans un monde rap car c’est l’époque qui a choisi pour moi. Ce sont les quartiers que j’ai traversés qui ont décidé de ma route car au fond je suis tombé dans le rap comme d’autres tombent amoureux, par hasard. Alors j’ai cherché à le comprendre, à l’aimer, à le protéger mais au final j’ai compris que je ne pouvais rien pour lui. C’est une histoire passionnelle qui nous happe et un jour nous fait comprendre qu’il ne s’agit pas de l’un ou de l’autre mais d’un tout. Un tout, qui fait qu’on abandonne.
J’aurais pu faire un album de blues, noirci des scories de mes vies, d’un noir plus profond que mes bleus, sans même la lumière de mes pairs, de mes frères, de mon âme, mais j’en ai fait un album d’âmes. Un album qu’on collectionne, un album soul.